Compte rendu de la sortie du 16 octobre 2011 à Arles sur Tech
Forêt du Puig de l’Estelle- gestion forestière durable? (Vallespir)
   

C’est par une fraîche matinée automnale qu’en ce dimanche 16 octobre, regroupés dans une demi-douzaine de voitures, une vingtaine de randonneurs empruntait la piste forestière de Falgas, au dessus d’Arles-sur-Tech et stoppait à l’entrée de la forêt départementale du Puig de l’Estelle.
Cette forêt, ancienne propriété des hospices de St Laurent, a été acquise par le Conseil Général des Pyrénées Orientales en 1977. Par cet achat et en réponse aux nombreuses acquisitions de particuliers dans ce secteur du Vallespir, le Conseil Général a souhaité intégrer dans le domaine public, ce patrimoine forestier d’exception. Couvrant plus de 214 ha, cette forêt s’étage de 514 m à plus de 1113 m d’altitude au Puig de l’Estelle et s’étend sur les communes d’Arles-sur-Tech et de St Laurent-de-Cerdans.

Cette forêt, comme le prévoit le Code forestier, bénéficie du régime forestier qui, depuis le début du 19° siècle, garantit l’application d’une gestion forestière au sein de toutes les forêts publiques. Élaboré par l’Office National des Forêts, la forêt est donc dotée d’un document de gestion durable qui planifie pour les dix prochaines années, les travaux et les coupes à conduire.
La rencontre d’un chasseur à la recherche de ses chiens, nous rappelle l’importance de cette activité : la chasse, qui remplit, au sein de ces territoires ruraux, un rôle majeur pour assurer le respect d’un équilibre agro-sylvo-cynégétique et maintenir un lien social. Depuis la révolution, le droit de chasse est étroitement lié au droit de propriété. Afin de renforcer et de préserver ce caractère social et de régulation de gibier, les législateurs voteront en 1964 la loi Verdeil qui permet de regrouper à une échelle communale ou intercommunale (obligatoire dans 28 départements et facultative dans les autres), les propriétés foncières (sous forme d’ACCA ou d’AICA) pour constituer des territoires de chasse cohérents et gérables qui sont ainsi, sous forme contractuelle, attribués à des équipes locales de chasseurs. Le territoire de la forêt départementale est inclus dans les associations communales de chasse agréée d’Arles et de Laurent-de-Cerdans.
Le groupe s’élance en bordure d’une pinède à Pinus nigra laricio (Pin laricio de corse) d’une vingtaine d’année, reconnaissable à ses aiguilles de 12 à 15 cm de long, vert-bleu, souples, frisées et non piquantes.
   

Plantée sur des anciens parcours pastoraux, au début des années 1990, cette pinède bien venante nous frappe par la pauvreté de son sous-étage due à la forte densité qui, réduisant l’éclairement du sol, limite le développement d’une végétation herbacée et arbustive d’accompagnement.

Durant la progression, nous ne pouvons ignorer la présence de Juniperus communis (genévrier commun) reconnaissable à sa bande blanche de stomates présente sur la face inférieure de ses aiguilles à la différence du Juniperus oxycedrus (Genévrier cade) où les stomates sont regroupés en 2 bandes blanches. Nous empruntons une piste, ouverte lors des travaux de boisements, au milieu de laquelle nous trouvons ponctuellement des Lactarius piperatus (Lactaire poivré), caractérisé par son chapeau blanc crème et dont la saveur poivrée reste insupportable au goutteur désigné.

 

Lactarius piperatus (Lactaire poivré), caractérisé par son chapeau blanc crème

Après avoir traversé un jeune boisement naturel de Betula pendula (bouleau verruqueux) reconnaissable à son écorce blanchâtre et de Prunus avium (Merisier) reconnaissable à son écorce lisse brun rougeâtre, nous arrivons sur une piste où surgit une vue imprenable du mas de Falgas, avec en arrière plan le pic de Canigou.

Ce mas à l’architecture traditionnelle des mas catalans a été le cadre, en 1989, du tournage de « La fille des collines », film de Robin DAVIS.

   
Nous empruntons une piste d’exploitation récemment débroussaillée, ponctuée de pieds d’Helleborus foetidus (Hellébore fétide) dont les feuilles caulinaires pédalées et vertes attirent notre attention. A proximité le Tussilago farfara (Tussilage) se distingue avec ses grandes feuilles polygonales arrondies de couleur verte dessus et couvertes de poils tomenteux blancs en dessous. Nous continuons notre descente au milieu d’une parcelle forestière de châtaignier coupée à ras au milieu des années 90. Aujourd’hui, elle s’est régénérée en jeune taillis de châtaignier impénétrable d’une dizaine de mètres de hauteur. Le bois issu de la coupe a été, pour une part significative, exporté en Espagne pour y être transformé en lambris et en parquet, et pour le reste transporté dans une usine de pâte à papier. Nous traversons une piste récemment ouverte pour conduire des opérations sylvicoles, et restons stupéfaits par le fort développement sur les talus fraichement créés du Buddleja davidii (arbuste aux papillons) pourtant peu présent à proximité, mais sûrement plus présent dans les ravins les plus proches. Ce constat reste néanmoins explicable, du fait du caractère héliophile, rustique et invasif de cette espèce

. Nous continuons notre cheminement sous l’ombrage du taillis de châtaignier et de quelques Acer opalus (érable à feuille d’obier) dont les feuilles opposées à 5 à 7 lobes obtus à sinus plus ou moins arrondis, le distinguent des autres érables potentiellement présents dans le secteur (Acer campestre, Acer monspessulanum et Acer pseudoplatanus).
Le Clinopodium vulgare (Calament clinopode), encore fleuri, ponctue le sous bois plus ou moins ombragé de ses quelques fleurs rouge carmin. Plus loin le délicat Centaurium erythraea (Petite centaurée) avec ses petites fleurs roses, attire notre regard et nos appareils photo.


Clinopodium vulgare L. ou Calament clinopode
 
L’heure de la pause déjeuner est arrivée et nous choisissons l’aire de pique-nique de la Torre (ci dessous).
Cette aire a été aménagée au pied d’un site sur lequel s’élèvent les vestiges d’une tour de 6 à 7m de hauteur et d’une enceinte matérialisée par des murs arasés correspondants au vestige du château de Cher Corb cité en 832 et 1197.

A proximité, nous contemplons le châtaignier classé de la Tourre (ci dessus à droite) dont le diamètre avoisine les 1.5 m et sa hauteur totale les 8 m. Son âge estimé à 250 ans en fait le plus vieux châtaignier du département. Ce châtaignier a été classé en 1996 par l’ONF comme arbre remarquable en milieu forestier. Parmi les 2048 arbres sélectionnés à l’échelle nationale, 296 arbres seront classés comme remarquables et d’intérêt national dont le châtaignier de la Tourre. Devant son ossature tortueuse et ramassée, il est rappelé l’absence de protection juridique spécifique aux arbres, si ce n’est au titre d’espaces boisés présents dans certains sites inscrits ou classés ou comme les espaces boisés classés (EBC). Dans le cas présent, le châtaignier de la Tourre est inclus dans le site inscrit de la cascade de Marie-Balente.

Nous reprenons notre cheminement, la Calluna vulgaris (Callune) avec ses fleurs roses rassemblées en grappes plus ou moins lâches, borde et colore les talus de la piste. La présence en bordure d’un jardin privé de Pseudotsuga menziesii (Douglas) vient embaumer les mains de ceux qui décident de froisser son feuillage (odeur prégnante de citronnelle).

En bordant un taillis de châtaignier plutôt mal venant, notre regard est attiré par des boursoufflures brun rougeâtre présent sur le tronc de plusieurs châtaigniers. Ce chancre est dû à un champignon le Cryphonectria parasitica (Chancre du châtaignier) qui, arrivé d’Asie en 1950 environ, a commencé à se développer dans le Vallespir au début des années 90. Ce champignon génére des chancres sur le tronc ou les branches des châtaigniers et, bloquant la circulation de la sève, provoque le dessèchement de la partie située au dessus du chancre. Ces attaques n’entrainent pas automatiquement la mort de l’arbre qui se régénère généralement à partir des zones vivantes et non contaminées. Il existe des traitements qui, du fait de leur coût ne sont généralement appliqués que sur des arbres présentant un fort enjeu (arbres de parc ou de verger). Par ailleurs et depuis quelques années, il est constaté une régression de la virulence de ce champignon et de ce fait une réduction des châtaigneraies contaminées.
Taillis de châtaignier d’une quarantaine d’années : Le document de gestion durable prévoit de le passer en coupe de régénération d’ici une dizaine d’années.
Le long d’une route forestière accessible aux grumiers, un tas de bois issu de la dernière coupe de taillis sera le cadre d’une séance de lecture un peu particulière. En effet, les cernes observables sur la section des grumes abattues ou des souches, traduisant les accroissements annuels de l’arbre depuis sa naissance, permettent de reconstituer les principales étapes de croissance de l’arbre au cours de sa vie. C’est ainsi que la présence de cernes larges révèle des périodes de pleine croissance alors que la présence de cernes étroits exprime des années de croissance difficile dues à des périodes de sécheresse ou de forte concurrence au sein du boisement. Par ailleurs un décollement de cernes sur une section d’un tronc de châtaignier permet de présenter ce défaut de bois spécifique au châtaignier. Appelé roulure, ce défaut entraine une dépréciation technologique du bois qui ne peut plus être utilisé comme bois d’œuvre. Ce défaut ne se constate qu’après l’abattage des arbres et pourrait être dû à l’action du vent ou à une réaction à un traumatisme de type maladie, dégâts de gibier ou dégâts d’exploitation.
Séance de lecture autour d'un tas de bois issu de la dernière coupe de taillis
Nous poursuivons notre cheminement, l’envahissant et imposant Eupatorium cannabinum (Eupatoire chanvrine) qui occupe les talus et les fossés, encadre notre progression. Au détour d’un ravin, nous ne pouvons ignorer la présence de Coprinus comatus (coprin chevelu) caractérisé par sa forme phallique durant son jeune âge et à son chapeau laino-méchuleux blanchâtre. Un petit rappel sur la législation relative au ramassage de champignons parait opportun. Le champignon appartient au propriétaire du sol, son ramassage ne peut donc se faire sans son autorisation. Dans les faits, le ramassage de champignons étant considéré comme une activité traditionnelle au sein de ces territoires ruraux, il existe une tolérance des propriétaires vis-à-vis de cette activité de ramassage dans la mesure où elle reste familiale. Néanmoins, il est observé dans certains territoires, des propriétaires qui s’organisent pour réglementer le ramassage ou pour valoriser la production mycologique de leur forêt. Généralement ils le signalent par la mise en place de panneaux. Le respect du site, de la propriété et des milieux naturels est donc l’attitude d’un ramasseur responsable. Ce que préconisent d’ailleurs les associations représentatives de propriétaires (voir ci-dessous les 12 commandements éco-citoyens du bon amateur de champignons !). Par ailleurs dans certains départements (Aude, Ariège) afin de réguler le ramassage de champignons, une réglementation par arrêté préfectoral a été mise en place avec notamment une liste d’espèces concernées, sa période de récolte et la quantité maximale à récolter.
Coprinus comatus ou Coprin chevelu

Nous continuons notre périple, la présence de la Gentiana ciliata (Gentiane ciliée) attire nos regards et nos objectifs. Cette petite espèce se caractérise par ses fleurs solitaires aux 4 pétales lancéolées, ciliés et d’un bleu soutenu, qui marque les talus clairs et calcaires de la route.
La présence de clôture et de chevaux rappelle aussi la vocation agricole de ce domaine départemental dont la gestion pastorale est assurée, sous forme contractuelle, par le Groupement Pastoral (GP) de la Boadelle. Enfin nous finissons notre périple devant un taillis de chêne vert, dans lequel devrait être conduit prochainement une éclaircie truffière dont l’objectif sera d’assurer un éclairement optimal du sol pour créer des conditions favorables au développement du Tuber melanosporum (Truffe noire) qui serait présent sur certains arbres et arbustes (Chêne vert, genévrier..). Cette opération serait réalisée dans un cadre expérimental et en collaboration avec les partenaires professionnels et institutionnels de la filière truffière locale et régionale.

Du fait de leur forme, certains chênes verts, prévus à être coupés, seront destinés à rejoindre l’atelier de restauration de barques catalanes, situé à Paulilles. Ils seront utilisés comme bois de marine, en remplacement de pièces défectueuses de barques en cours de restauration.

Gentianella ciliata (L.) Borckh. ou Gentiane ciliée (Espèce protégée en région Alsace)
Du fait de la sécheresse de ce début d’automne, cette randonnée sylvestre n’aura pas été marquée par des observations mycologiques. Par contre, sous un ensoleillement exceptionnel, les participants auront su apprécier la multifonctionnalité de cette forêt (pastorale, sylvicole, cynégétique, environnementale,..) qui en fait un ensemble patrimonial d’exception.
Texte : Serge Peyre
Photos : Monique Bourguignon, Béatrice Guillaume, Alizé BAILLEUL , Miquel Mayol-Raynal et Serge Peyre
   
  Code de Rammassage des champignons édité par la Fédération Nationale des Syndicats des Forestiers Privés
 
  Pour en savoir plus: http://www.foretpriveefrancaise.com/cueillette-des-champignons-ce-qu-il-faut-savoir-135727.html